Soir de Mars

Comme une envie, après une journée d’accompagnement bien pleine, d’aller chez mon libraire, trouver un roman… pour changer.

Oui, tiens, un Ruffin, je l’aime bien, lui, ce marcheur-médecin-Immortel.

Et là, sur le seuil, un air de printemps. Le ciel est moutonneux, il fait pourtant très doux. Sur la place, une terrasse. Allez, il encore tôt, une menthe à l’eau !

Quel plaisir de s’attabler, prendre quelques instants à moi. Plonger avec gourmandise dans les premières pages du livre, juste pour avoir un avant-gout !

Lever les yeux, par moments, et observer les passants, les attablés, essayer de deviner quelles vies, quels espoirs, quels déboires, se traduisent dans leur traits, leurs attitudes.

Les façades cernant l’endroit, l’ambiance, me connectent au souvenir d’un film célèbre.

Cette place, c’est la place Colbert, celle du décor des Demoiselles de Rochefort. Ma mémoire tente de poser les images du film sur celles que je vois aujourd’hui. Cela me semblait plus grand sur écran. J’imagine les couleurs de façades, à l’époque rafraichies sur demande de la production. Aujourd’hui, des fenêtres ouvertes sur la douceur laissent s’échapper des trilles musicales, depuis l’école toute proche, accentuant encore cette impression étrange. Presqu’on pourrait voir surgir Gene Kelly, de l’angle de la pharmacie… Peut-être les piétons vont-ils se mettre à danser le grand ballet final autour du bassin, comme dans un flashmob contemporain ! Mon esprit divague, repart aux années 60. Je m’évade dans une autre époque, et m’amuse à distribuer les rôles, dans un casting de pacotille. Je me refais le film, dont pourtant je me souviens peu. Qu’importe, j’improvise, faisant arrangement avec l’histoire…

Puis revenant au moment présent, je sens les tensions du corps qui s’apaisent. Laisser libre court à mon imagination m’a emmené loin et ici à la fois. Je me sens posé, reposé. Je savoure les dernières gorgées, prêt à rentrer dans mon foyer. Quelques mots me flottent autour, nous sommes deux sœurs jumelles…